Au nom de sa fille Nawäl, Jennyfer Zimmermann sensibilise sur le don de moelle osseuse
Jennyfer Zimmermann voit sa vie et celle de sa fille Nawäl être bouleversé en 2019 lorsque cette dernière apprend qu’elle est touchée par une leucémie aiguë rare nommée « leucémie aiguë bi phénotypique » . C’est à ce moment-là que Nawäl commence son combat contre le cancer et qu’elle milite sur l’importance du don de moelle osseuse, un don encore trop méconnu en France. Aujourd’hui Jennyfer, sa maman, nous raconte à travers une interview l’histoire de Nawäl, mais aussi ses ressentis personnels en tant que mère et en tant que personne aidante. Laissons la parole à Jennyfer :
Le 15 octobre 2019, j’écrivais ces quelques mots :
« Il y a eu un avant avec des hauts et des bas, une vie normale, des jours de pluies et des beaux matins ensoleillés. Dans nos têtes, des souvenirs de vacances, des plages, des palmiers, la mer et il y a cette vie qui démarre, ce combat qu’on s’apprête à relever. Le soleil se lèvera toujours et la pluie tombera encore… on gardera nos sourires, nos rêves et nos espoirs mais nos yeux seront aussi brouillés par les larmes… nos voix seront fébriles lorsqu’on parlera… et puis il y a aura ces jours où on blaguera… on vous paraitra peut-être trash, un humour noir dérangeant mais ce sera notre façon… ma façon de me battre pour te soutenir… »
Lorsque l’on est touché par une maladie lourde et grave, notre monde s’écroule et on traverse des moments où on est forte et d’autres où on se sent brisée. Le parcours n’est pas linéaire et bien souvent derrière les sourires, on cache nos larmes. On peut se réveiller un matin épuisée, fatiguée et ne voulant plus rien faire…ne plus combattre, ne plus accepter, haïr le monde et l’univers pour cette souffrance qu’on nous inflige. Ne pas comprendre pourquoi nous…Tout comme, on peut se lever certains matins avec une volonté farouche de s’accrocher à la vie et de rester fort coûte que coûte.
Que l’on soit la personne malade, ou la personne aidante : la maladie vient ronger nos forces, bouleverser nos habitudes et notre routine. Elle s’installe et devient une compagne insolente et cruelle dont on a du mal à se défaire. L’extérieur nous trouvait fortes et courageuses mais nous n’aimions pas entendre cela car pour nous, ce n’était pas du courage ou de la force, nous n’avions simplement pas eu le choix d’affronter car nous voulions rester dans « la vie », continuer à nous aimer et nous disputer parfois, continuer à vivre tout simplement.
– Pouvez-vous nous dire qui était Nawäl ?
Nawäl est mon aînée. C’était une enfant vive, débrouillarde. Une jeune fille, studieuse à se mettre la pression pour réussir. Et en parallèle une jeune fille de son temps qui aime les réseaux sociaux, le maquillage, les fringues, les voyages, sa famille et ses amies ; loyale et fidèle mais aussi une fille entière ce qui implique un fort caractère pas toujours facile à vivre. Elle nous aimait son frère et moi et elle aurait pu déplacer des montagnes en cas de besoin mais elle avait aussi ce côté un peu princesse capricieuse qui veut que le monde tourne autour d’elle. A l’annonce de la maladie, elle avait 20 ans, était une étudiante venant de décrocher son BTS Commerce International et qui aspirait à un bachelor.
Elle avait déjà une vision bien précise de ce qu’elle voulait : un travail plaisant qui paie bien, une maison, un mari, des enfants et un chien. Cela peut paraître bien cliché mais elle tenait à fonder sa propre famille et avoir un endroit bien à elle. Elle était dévouée à ses ami-es, toujours franche, pas toujours très diplomate. Elle aimait partager, découvrir le monde, manger et être entourée. Elle était pleine de vie.
Pendant ses nombreuses hospitalisations, elle s’est toujours intéressée à son traitement, avait besoin d’explications et s’investissait dans sa prise en charge. A l’écoute et toujours un petit mot gentil pour tous ceux qui s’occupaient d’elle. Elle aimait le contact, discuter…et finalement, les gens l’ont trouvé attendrissante, aimante et se sont attachées à elle. Elle ne laissait personne indifférent.
– Quelle était la maladie de Nawäl et comment s’est-elle déclarée ?
Le 10 octobre 2019, Nawäl se rend chez notre généraliste car depuis quelques jours, elle constate, grâce à sa montre, que ses pulsations sont élevées après un effort simple, qu’elle a des hématomes sans comprendre pourquoi et qu’elle se sent fatiguée. Au cours de ce rendez-vous, elle demande un bilan sanguin qu’elle fera tout de suite en quittant le cabinet. Le laboratoire la rappellera dans l’après-midi et lui demandera de se rendre chez la généraliste en urgence. Le lendemain matin, vendredi 11 octobre 2019 à 10h00, elle a rendez-vous au service d’onco-hématologie de l’hôpital de Hautepierre pour un bilan complémentaire. A 16h00, on lui demande de revenir et à 18h30 on nous annonce à toutes les 2 le diagnostic. L’annonce tombe sans prévenir où l’on n’entend plus rien de ce qui se passe autour : juste des mots si lourds de sens comme leucémie… chimio… transfusion… greffe… hospitalisation… 1 an sans école, sans travail.
Tu bloques sur ces mots… tes larmes coulent alors que tu dois être forte et tu vois ton bébé de 20 ans qui pleure parce qu’elle comprend comme toi, que l’année à venir va être douloureuse et difficile. Elle va devoir se battre… elle va devoir affronter tout ça et j’ai mal pour elle, je voudrais pouvoir lui éviter tout ça mais je ne peux pas. Je suis impuissante et tout ce que je peux faire c’est être là à ses côtés… la prendre dans mes bras… et l’aider à supporter les traitements et les changements. Sa vie va changer : rythmée par la vie dans un hôpital et puis celle de mon fils, la mienne et mes proches… nos vies aussi seront différentes. Nos larmes coulent en même temps que nos cerveaux se mettent à penser au pire. Je me souviens avoir pensé à cet instant précis « Ma fille ne sera plus là à Noël… Ma fille va mourir »
– Nawäl a rapidement été prise en charge après l’annonce de sa maladie, dans quel établissement était-elle suivie ? Comment s’est passé son hospitalisation ?
Ce 10 octobre 2019, l’équipe d’onco-hémato garde Nawäl pour la nuit et on l’autorisera à sortir pour le week-end avec un retour le dimanche soir, avec comme consignes de revenir de toute urgence si elle a de la fièvre. A ce moment-là, elle n’a déjà plus assez de défense. Le samedi soir, elle profitera d’une fête anniversaire avec son frère et ses cousins mais en rentrant la réalité la rattrapera. Elle va pleurer ce soir-là et remettre en question tout le traitement. Elle ne veut pas perdre ses cheveux. Cela peut paraître futile mais pour une jeune fille coquette perdre ses cheveux c’est une étape difficile de son identité et cela renvoie toujours l’image de la maladie. Nous sommes montées sur un bateau, sans le vouloir, sans nous y attendre juste embarquées comme ça en une fraction de seconde dans un monde qu’on ne connaissait pas… un choc silencieux qui nous a envahi et une réalité quotidienne à laquelle nous n’étions pas préparées.
Chaque année, de nombreuses personnes sont touchées ; ma fille n’est pas un cas unique ou isolée mais cette expérience bouleverse et nous prend aux tripes quand cela touche un de vos proches. Hors de ce monde, les chiffres qui parlent ne sont que des chiffres même si on peut ressentir une certaine tristesse éphémère à leur lecture…quand c’est un de vos proches, cette réalité-là prend un autre sens.
J’ai parfois en tête un écho qui dit « ma fille va mourir » et puis je me raccroche à « non elle ne va pas mourir. Oui c’est un cancer mais ce n’est pas synonyme de fin… la science et la médecine ont fait tellement de progrès ». Je ne me voile pas la face pour autant. Je sais que nous sommes lancées dans un combat qui sera long et difficile avec des hauts et des bas plus violents que dans la vie normale. Mais admettre la réalité du mot cancer aussi difficile soit elle, ne signifie pas être préparée au pire ! Je ne le serai jamais mais je veux porter en moi une force positive, avancer avec amour et confiance…moi qui suis dans le contrôle constamment, je lâche prise pour faire un pas un jour après l’autre dans cette tourmente.
Je ne peux que parler de mon ressenti, de mes émotions… de mon tsunami intérieur… mon parcours ne ressemble pas à celui de ma fille. Entre larmes et rires, fatigue et peur, elle avance et reste debout ! J’ai la chance d’être du côté des gens en pleine forme… je ne vais pas connaître ses difficultés, sa souffrance physique ou morale… je ne peux pas me mettre à sa place mais dans ma position de maman, de proche je fais le parcours à ses côtés.
Une dizaine de jours – un mois après l’annonce de sa maladie, alors qu’elle est hospitalisée depuis le début, nous connaissons son type de leucémie aiguë bi phénotypique : une leucémie rare. Un mélange de leucémie de l’enfant et de la leucémie de la personne âgée. Au cours de ses nombreuses hospitalisations sur les 3 années, Nawäl a eu à supporter un lourd arsenal de chimiothérapie puis des longues semaines d’aplasie (plus aucune défense immunitaire)… puis l’attente des résultats sur l’efficacité de la chimiothérapie puis les conditionnements (autre chimio) pour la greffe de moelle. Puis les périodes d’aplasie et toutes les difficultés rencontrées (physique et morale) lors de ces périodes. Puis la sortie d’aplasie, l’attente du résultat de la « prise » de greffe et ensuite les rendez-vous mensuels de suivi…
La maladie a été diagnostiquée le 11 octobre 2019, en mars 2020 (en pleine crise COVID) elle a sa première greffe de moelle. Son frère est son premier donneur. La crise COVID ne nous permettra pas d’être physiquement à ses côtés. On usera de la technologie (sms, Messenger) et à jouer à Roméo et Juliette au pied de la fenêtre de sa chambre : de nombreuses fois, je serais le Roméo sous sa fenêtre pour qu’elle puisse me voir ! On aura des anecdotes drôles par la suite mais la crise COVID a rendu sa première greffe traumatisante pour elle. Et cela aura une influence sur son état lors de la seconde greffe !
En juillet 2021, elle aura sa deuxième greffe d’un donneur anonyme et en septembre 2022, elle fera une nouvelle rechute. Le 31 octobre 2022, le médecin nous annoncera que tout a été tenté et que malheureusement il n’y a pas de solution ni en France ni à l’étranger. Les soins palliatifs sont mis en place. Nawäl et moi nous sommes effondrées mais on décide de faire en sorte que ses derniers jours soient remplis au maximum de bons et beaux moments à la fois pour elle et pour nous, ceux qui survivront à sa mort.
– Nawäl a bénéficié d’un don de moelle osseuse, comment cela s’est-il passé ?
Après que les médecins aient sélectionné son frère comme donneur compatible (sur la 1ère greffe) et le donneur anonyme allemand (sur la 2de greffe), Nawäl a été hospitalisée une quinzaine de jours avant la greffe afin de débuter le traitement par une chimiothérapie de conditionnement dont le but est de détruire la moelle du malade pour faire de la place pour la moelle du donneur et d’empêcher le système immunitaire de lutter contre la moelle du donneur. La greffe se déroule par perfusion comme pendant une transfusion et dure 30 minutes. Ce n’est pas douloureux mais il faut tout de même une surveillance en cas de réaction. Les cellules de la nouvelle moelle se répandent dans le sang du malade et vont coloniser la moelle osseuse.
Suite à la greffe, elle a été en aplasie durant 3 – 4 semaines jusqu’à ce que la nouvelle moelle fonctionne. Cette période est la période la plus difficile car les défenses sont amoindries, il y a des risques d’infections et elle était en isolement dans une chambre à flux stérile pour la protéger. Le flux stérile ultra bruyant de jours comme de nuits + l’isolement complet lors de la période COVID (elle s’est fait greffer en mars 2020), fut pour Nawäl un vrai traumatisme. Au cours des semaines d’aplasie, elle a eu des transfusions de globules rouges et de plaquettes, des antibiotiques. Sur le plan moral, ce fut également une période difficile car nous étions dans l’incertitude, est ce que la moelle va prendre sa place, est que le corps ne va pas développer d’infections, est ce que les troubles digestifs (dans son cas) importants vont se résorber. C’est une période où elle était sous morphine voire plus fort, pour la soulager. On savait aussi qu’il y avait des risques de développer une maladie du greffon contre l’hôte (GVH) qui se traduirait par une moelle trop agressive contre le receveur.
A la fin de la période d’aplasie, elle a pu rentrer et nous avons eu des rendez-vous toutes les semaines en hôpital de jour avec des bilans sanguins complets, puis espacés tous les 15 jours, puis par mois. Quand les rendez-vous s’espacent on est à la fois contente mais aussi très stressée car la peur que la maladie revienne est très présente.
– Elle s’est ensuite engagée pour sensibiliser sur le don de moelle osseuse, en quoi était-ce important pour elle ? Comment s’y est-elle prise ?
Il y a plusieurs raisons qui ont poussé Nawal à s’engager à sensibiliser sur le don de moelle : se trouver un donneur compatible à 100%, occuper ses journées d’hospitalisations à l’hôpital, se donner de la force et du courage pour aller vers la greffe et enfin parce qu’en France le don est trop méconnu et le nombre de donneurs potentiels est trop bas. Elle s’est servie des réseaux sociaux en expliquant son histoire et son parcours. D’abord sur un groupe « étudiants de Strasbourg » sur Facebook. De là, de nombreux étudiants lui ont dit qu’ils découvraient l’existence du don de moelle grâce à son post. Cela lui a donné de l’élan et elle a poursuivi la sensibilisation via Instagram et Twitter. Des journalistes ont eu vent de son appel et lui ont donné la parole. La mairie de Hoenheim a également été informée et s’est rapprochée d’elle. Ils auraient voulu mettre en place avec elle des rencontres pour permettre de sensibiliser les jeunes et moins jeunes de la commune. Malheureusement, cela n’a pas pu se faire.
– Depuis sa disparition vous continuez de relayer son message. Était-ce une volonté de sa part de poursuivre ce combat ?
Lorsque l’on nous a annoncé qu’il n’y aurait pas d’autre issue que son décès, nous avons abordés de nombreux sujets ensemble mais pas celui de poursuivre son combat. J’avais 2 priorités à ce moment-là :
- Faire que les derniers jours ou mois de ma fille (nous n’avions aucune notion du temps restant) lui apportent le plus de plaisir possible et nous construisent à nous ceux qui allaient rester : des magnifiques souvenirs qui seraient importants pour notre deuil et lors du chemin de vie sans elle.
- J’avais besoin aussi de son avis sur sa cérémonie et tout ce qui allait l’entourer. Je lui ai demandé si elle acceptait de tout préparer avec moi. Je n’aurais pas insisté si cela avait été trop difficile pour elle. Ça n’était pas toujours facile d’aborder cette thématique de la mort, qui dans notre cas, n’était plus du tout une idée abstraite.
Je lui proposais les textes, les musiques, la stèle, l’idée de son petit jardin, le lâcher de colombe et tout ce que cela signifiait pour moi et elle, elle acceptait ou refusait mes propositions. Je pense que ce travail commun nous a aidé toutes les 2. Moi évidemment parce que je savais que le jour de la cérémonie, je respectais ses volontés et d’une certaine manière, elle était avec nous. Et elle, je pense que cela la rassurait sur le fait qu’on ne l’oublierait pas, qu’on l’aimerait toujours et encore.
Poursuivre son combat a finalement été ma décision : égoïstement pour continuer à la faire vivre et puis aussi pour tous ces patients qui sont en attente.
– Comment le grand public peut-il vous aider dans ce combat ?
Il existe de multiples façons d’aider : parler du don de moelle osseuse, diffuser les liens, s’inscrire sur les listes si on le peut. Tout cela permet de faire connaître au grand public le don, trop peu connu en France.
L’équipe de l’association Franck, un Rayon de Soleil a eu la chance de rencontrer Nawäl en novembre 2022, lors du concert d’Angèle. Nous avons été touché par son histoire, son combat mais surtout sa personnalité : une femme persévérante et d’une gentillesse sans pareille. Nous invitons chaque personne lisant cet article à s’inscrire sur le registre de don de moelle osseuse, parce-que vous êtes peut-être la seule personne compatible avec un patient, c’est-à-dire, la seule personne pouvant lui sauver la vie. Alors, n’hésitez pas :
En général, le don de moelle osseuse se déroule de la même façon qu’un don du sang. Quoi de mieux que de regarder une courte vidéo pour comprendre concrètement ce qu’est le don de moelle osseuse et comment devenir donneur :